jeudi 27 mai 2021

Sylvie Durbec : carrés

  Sylvie Durbec, Carrés (Faï foc, 2021), Europe n° 1106-1107-1108, juin-juillet-août 2021, p. 329-330.




Sylvie Durbec, Carrés, Faï fioc, Boucq, 2020. 

 

Dans un entretien avec Yann Miralles[1], Sylvie Durbec parlait du « O muet d’étonnement […] face au tableau, devant le poème ». Ces cinquante plus un « carrés » me semblent tout à fait répondre à ce besoin de « vivre ce temps de l’arrêt ». Mais si le O devient carré, c’est qu’il est toujours lié au tambour de la brodeuse et à la magie de ses fils, car il y aurait aussi plusieurs fils : « à l’encre rouge sur page quadrillée de bleu ce qui avec le vert de la couverture fait un jardin tout à fait acceptable ». Sylvie Durbec a écrit qu’elle « brode comme elle respire ». La preuve est ici faite par l’écriture à condition de mettre ce verbe, broder, non du côté de quelque rhétorique pour fleurir voire enjoliver quelque discours, mais bien au cœur d’une poétique à l’écoute du moindre fil de vie, du moindre nœud de respiration, bref, du moindre rythme de langage[2]

Cet « écrire en carré » est un défi fait à la discontinuité de l’expérience pour que la jardinière comme la brodeuse, la lectrice comme l’écrivaine, la mère comme l’amie, l’artiste comme la poète, s’entendent comme le flux et l’arrêt jusqu’à tenir ensemble des temporalités anachroniques, des dehors et dedans, Walser et Handke, l’enfant et les ancêtres, « la suisse vaudoise à marseille », etc. Aucun éclectisme autre que, ce que se demandait déjà Sylvie Durbec dans Comme un jardin (BLEU) (Potentille, 2009), un « travail de couturière / de cordonnier / ou de jardinier ? » Chaque carré emmêle ces métiers comme si les fils de la broderie tissaient le continu de cette mosaïque toujours sur le métier, de ce feuilleté d’activités dont aucune ne viendrait masquer une autre. Bien au contraire, chacune viendrait comme prendre valeur par les autres. Chaque morceau continué dans et par le carré trouverait sa valeur et donnerait valeur exactement comme le détail et l’ensemble ne feraient qu’un dans un vitrail par la magie de la couleur. 

Il y a une grande générosité dans chaque carré qui à chaque fois se fait donation du vivant par ce travail qui ne cesse de douter : « mais quoi est dit entre quatre murs quatre côtés pour encrer carré de Criture de cripure de griffure ». Sans aucune ponctuation noire, chaque carré se tient sur un rythme du continu des emmêlements avec en son cœur un mot majusculé toujours par ce C qui finalement se fait minuscule avec le même dernier mot, son point de broderie : « carré ». On se souvient que Sylvie Durbec écrivait dans Marseille, éclats et quartiers (Jacques Brémond, 2009) : « Nous disposons le plus souvent de débris, de fragments ou de restes laissés par d’autres et que nous ramassons et emportons avec nous. » Il y a en effet toute une pensée par le poème qui tient ensemble, entre beaucoup d’autres expériences ténues de la vie qui ne peuvent se contenter des « grandes péroraisons, le bus 36 de Lausanne et tous « les inhabitués de la douleur », etc. 

Avec ses « carrés » dont l’impulsion est souvent relancée, entre autres par « les promenades entreprises avec » Peter Handke[3] mais aussi par une forte présence des enfants, nous sommes embarqués jusqu’à ce « carré surnuméraire » dans « l’hospitalité des histoires » : « j’ouvre à l’enfant le sentier du Conte qui le ramènera chez lui des cailloux blancs plein les poches et sur la tête pour se protéger du soleil un mouchoir en carré… » et un poème pour la vie pleine de vie. Oui, « on y entre vif dans le carré » !

 

                                                                       Serge Martin

 



[1] Yann Miralles, « Éclats d’une vie écrite : entretien avec Sylvie Durbec », Le Français aujourd’hui n° 192, 2016, p. 147-156. En ligne : https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2016-1-page-147.htm

[2] Colette écrivait dans La Naissance du jour (1928) : « Papier lisse qu'il faut broder de mon écriture »

[3] Certainement par Peter Handke, Hier en chemin : Carnets, novembre 1987-juillet 19902011, trad. Olivier Le Lay.

 










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