Christian Dotremont, Ancienne éternité & autres textes (Editions Unes, 2020), Europe n° 1106-1107-1108, juin-juillet-août 2021, p. 324.
Christian Dotremont, Ancienne éternité & autres textes, Nice, Éditions Unes, 2020.
Les amateurs de Christian Dotremont (1922-1979) savent que les Œuvres complètes publiées au Mercure de France avec une préface d’Yves Bonnefoy, parues en 1998 sous la houlette de Michel Sicard, même réédité en 2004, ne sont plus disponibles. Ils ont pu lire le fort dossier de la revue Europe paru en mars 2019, et voir confirmée l’importance de l’œuvre de ce grand auteur européen dont on connaît les logogrammes qu’il ne faudrait pas séparer des autres œuvres, voire même de ses nombreux écrits sur l’art, ainsi que le rappelait Stéphane Massonet qui a organisé ce même dossier.
Ce petit volume de reprises d’œuvres est vraiment bienvenu alors ! Sept en tout – ce chiffre du temps – publiées de 1940 à 1953. Le premier texte donne son titre au recueil ; il a été écrit à 17 ans et reconnu aussitôt par les surréalistes belges et français. Cet ensemble permet de (re)lire des textes qui ensemble font corps dans un lyrisme amoureux bien spécifique, dont les dédicaces aux femmes aimées orientent la lecture. Il confirme le fait que les logogrammes mieux connus de Dotremont constituent comme l’écriture vocale continuée de ces textes et du premier en particulier qui donne son titre à l’ensemble. Dans des passages de voix incessants voire inassignables, l’oralité jubilatoire de l’écriture est au poste de commande avec un rythme d’enfer qui laisse bondir la voix dans des réparties et des reprises, des vitesses et des sauts comme si la fuite rimbaldienne portait l’amour jamais là où il n’aurait dû se (re)poser pour ne cesser de « bondir » (p. 9). Mais ce ne sont pas les métaphores qui transportent chez Dotremont, ce sont les renversements, les soulèvements, les débordements de tout le langage. Sémantique et ponctuation, prosodie et énonciation, tout est « trop » avec lui : « – j’aimais les trop. – Je me disais : – "Rien n’est beau que le trop, le trop seule est aimable" – et je galopais. – Je fus trop sans, – ce vacarme de dieu qui porte à chaque doigt de chaque main mille verres d’alcool pur. » (p. 32). L’ivresse d’un dire y est toujours à l’affût du « petit peu d’invisible qui reste » (p. 34), à l’affût d’un maximum de corps dans et par le langage, « à grandes rafales de vie » (p. 41) non sans une violence à la fois reçue (« toutes ces choses qui me sont tombées sur la tête sans que je demande rien », ibid.) et relancée : « de quoi le raviver », « cet incendie » de l’amour, « l’amour à perdre cœur » (p. 45), du poème comme « cette main », « qui respire sans rien dire et [qui] enivre de souffle », comme écrivait Dotremont six ans après la disparition de « la reine des murs », Régine Raufast – on attend la publication de leur correspondance merveilleuse. Alors, le poète « [a] le temps – mais rien d’autre » ! Cette oralité puissante d’un conteur va jusqu’à écouter « la forêt » (superbe conte dédicacé en 1953 à Bente Wittenburg), qui lie et sépare les amants tout comme un logogramme, cette forêt-poème que Dotremont saura (dé)multiplier. Car, oui, « les gestes parlent » (p. 11) pour faire entendre une « ancienne éternité ». Et si Dotremont écrivait encore adolescent « – il n’y a plus d’avenir. – il n’y a plus que le râle de mes mains. » (p. 16), il nous donne longtemps après « les étoiles plus étoiles, – le soir plus soir » (p. 17) et, dans le même élan, le poème, le langage, plus poème, plus langage.
Serge Martin
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