dimanche 10 novembre 2019

Lecture publique avec Tu pars, je vacille

https://soundcloud.com/serge-martin-767275917/tu-pars-je-vacille-lecture-publique-a-lajoux-3-decembre-2016

Avec Ghérasim Luca (1913–1994), extension du domaine des apatrides

Martin, S., 2019. « Avec Ghérasim Luca (1913–1994), extension du domaine des apatrides ».  Modern Languages Open, (1), p.15. DOI: http://doi.org/10.3828/mlo.v0i0.223

L'Impératif de la voix : entretien avec Philippe Païni

Entretien avec Philippe Païni autour du livre L’Impératif de la voix, sur le site Poézibao, 4 novembre 2019 : https://poezibao.typepad.com/poezibao/2019/11/entretien-serge-martin-avec-philippe-païni-autour-du-livre-limpératif-de-la-voix.html?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+typepad%2FKEpI+%28Poezibao%29

Faire littérature

Recension de Delphine Abrecht, Romain Bionda, Sophie-Valentine Borloz, François Demont, Charlotte Dufour, Samuel Estier, Jacob Lachat, Colin Pahlisch, Émilien Sermier, Mathilde ZbaerenFaire littérature. Usages et pratiques du littéraire (XIXe-XXIe siècles), Lausanne, Archipel Essais, 2019. En ligne : https://journals.openedition.org/lectures/38135

vendredi 8 novembre 2019

Anne Herbauts, Je ne suis pas oiseau

 Anne Herbauts, Je ne suis pas oiseau (Esperluète éditions, 2018), Europe n° 1087-1088, novembre-décembre 2019, p. 337.


Anne Herbauts, Je ne suis pas oiseau, Esperluète éditions, 2019, 80 p., 22 euros. 

 

Ce livre est un album par son format (19x27) et la présence forte d’images qui inventent, dans un rythme puissant d’une double page à l’autre, une diction qu’on peut appeler un poème du vivre aujourd’hui, c’est-à-dire une relation de voix que la reprise, ce ressouvenir en avant, construit pour nous emporter avec ceux et celles auxquel.les semblent être dénié le vivre.

Reprenons par le début. Le livre est une reprise et variation qu’offre le motif de l’oiseau en pochoir se remplissant d’une pluralité de références culturelles ; disons des reproductions d’œuvres picturales ou autres qu’on pourrait certainement déchiffrer comme ces signes cunéiformes qui font traces de pattes d’oiseau… Mais l’album ne demande pas déchiffrement autrement qu’à se laisser porter par son mouvement d’envol, son rythme de comptine (« je ne suis pas un oiseau ») qui refuse puis ouvre au ciel d’abord avec une série de planches animées par des reprises du motif de la lisière maritime où vagues, débris de plage et chute s’emmêlent, puis avec une autre série, celle de l’arbre, qui nous fait osciller, comme la pluie, la série suivante, entre des hauteurs et des profondeurs, des cimes et des fouilles, jusqu’à ce qu’une page livre voix vers ceux « qui sont en route sans savoir où aller ». Alors, nous voilà défaits, dépourvus, désossés de toute contenance, de toute assurance, de toute connivence même avec les oiseaux. Cet album fait le chant d’un déchant – je n’ai pas écrit désenchantement ! En effet, il est une invitation à se tenir avec ceux qui n’ont même pas la condition des oiseaux (et l’on sait combien celle-ci est aujourd’hui en péril puisque des espèces nombreuses disparaissent) pour au moins épouser leur chute « sur une espérance inimaginable ». 

Un tel album ouvre à l’expérience d’un principe espérance (Ernst Bloch) plus par sa lecture abandonnée au rythme que par son interprétation compréhensive, plus par le non-savoir que par la maîtrise, plus par la perte des repères (le jeu de cadrage) que par la stabilité des signes (aucun décodage n’est ici possible). Un tel album fait le risque de tout poème : essayer dire l’indicible, l’inaudible, l’inconcevable – un peu comme le chanteur Idir en épigraphe : « J’ai froid, mon pays, j’ai froid ». Ici peut-être, le « je ne suis pas un oiseau » de toutes celles et de tous ceux qui veulent aller ailleurs et qu’on empêche de passer, mais aussi de tout un chacun qui rêve d’un vivre ailleurs ici-bas. Un tel album, comme la moindre chanson qui dure sans qu’on sache pourquoi, maintient l’utopie de vivre. 

Alice Massénat, Le Squelette exhaustif

Alice Massénat, Le Squelette exhaustif (Les Hauts fonds, 2018), Europe n° 1087-1088, novembre-décembre 2019, p. 334-335.


Alice Massénat, Le Squelette exhaustif, illustrations de Guillaume Guintrand, préface de Jacques Josse, éd. Les hauts Fonds, 2019, 104 p. 

 

Certes, si l’on considère le surréalisme sous l’angle de l’histoire littéraire ou des procédés et autres manœuvres pour occuper le culturel, le surréalisme est mort et enterré ! Mais dès qu’on lit Alice Massénat, voilà que son spectre surgit ou plutôt voilà que les fantômes d’une énergie qu’on croyait étiquetée au Musée Grévin des horreurs littéraires ne cessent de hanter la lecture. C’est que l’écriture d’Alice Massénat « marche sur le fil du rasoir » (Josse) pour non pas nous refaire le surréalisme, mais pour que la vie, sa vie qui s’y risque, ne fasse plus semblant dès que l’écriture la relance, la remette à survoir, à surréaliser et que « le grand saut » advienne dès « demain », ce « jeudi si intemporel ». La voix qui toujours au bord d’un cri tenu, « le corps bouffé d’heurs », jusque dans ses silences mêmes, sait quelle violence il faut endurer sur ce chemin d’écrire-vivre : « à dire vrai je n’étais qu’une vulgaire écharde / qu’on recouvre d’un drap de suif / et parmi ces échancrures / le tu s’éloigne à outrecuidance ». Mais l’adresse (« donnez-moi ce secret », « dites-moi je vous en supplie ») est incessante, « quand d’aucuns se taisent la bouche en cul-de-poule », et la demande d’écoute : « Je m’en vais / au plus loin de la mer / et de ces joints aux insidieuses outrances / pleurer, sans même un qui-vive ». De grands intercesseurs accompagnent (Bellmer, entre autres) dans ce mouvement qui demande d’étendre la haine des « curateurs de l’esprit » au « clergé » qui « siège », jusqu’à soi-même parce que « l’étrange est là / et je m’y assois ». Mais il faut aussitôt préciser combien c’est l’écriture haletante (« fuirai à toutes jambes », « je cours, je défaille ») et d’une précision redoutable (« je vandaliserai mes yeux et mes carquois ») parce qu’il s’agit de ne jamais céder pour « piaffer ces trémolos du sépulcre » : « et je serrerai enfin le seuil de formol / en suicide annoncé » et « le gouffre traqué / s’en vient invariablement ». La syntaxe, le lexique, les rythmes tonitruent de concert à contre « cantiques d’affabulateurs ». Le surréalisme d’Alice Massénat est une critique sans ménagement de tout poétisme (« éructer et recracher où bon me semble ») comme de toute bienveillance, comme si le discours socialisé (psychiatrique, policier, etc.) et celui des « scribouillards de bonne mine / aux déblatérations sans quelque fronce / que le cri n’émeut même pas », pouvaient écouter autrement « sa voix cadenassée par des aplombs de fortune ». Cette critique emporte alors, comme chez Ghérasim Luca, un « Je » : « Et comme un os de sursis / je t’exhume de tous nos palans / à qui de droit nos mains je te hèle / je t’exècre/ et je t’exclame ». C’est alors une danse (macabre et vive) pour « Foutre le camp d’un monde qui se tait / qui nous exècre et qui se pâme / au bon vouloir du qu’en-savoir ». Le ton de la voix est alors prophétique (« Tanguer et charrier le verbe d’outrecuidance pour tuer les rêves la peur et le désespoir »), quitte à « crever la première », « Matraquée / Spoliée / inerte ». Aussi, le lecteur est-il mis au défi de « Prendre au sérieux tout l’aval d’une scansion bringuebalée », non pour trouver quelque motif raisonnable à la source d’un tel rythme, mais bien plutôt pour se voir inoculé tout le trouble de la voix du poème d’Alice Massénat, qui agrandit encore plus cette formule de Max Ernst : « L’identité sera convulsive ou ne sera pas ».

                                                           Serge Martin