vendredi 8 novembre 2019

Anne Herbauts, Je ne suis pas oiseau

 Anne Herbauts, Je ne suis pas oiseau (Esperluète éditions, 2018), Europe n° 1087-1088, novembre-décembre 2019, p. 337.


Anne Herbauts, Je ne suis pas oiseau, Esperluète éditions, 2019, 80 p., 22 euros. 

 

Ce livre est un album par son format (19x27) et la présence forte d’images qui inventent, dans un rythme puissant d’une double page à l’autre, une diction qu’on peut appeler un poème du vivre aujourd’hui, c’est-à-dire une relation de voix que la reprise, ce ressouvenir en avant, construit pour nous emporter avec ceux et celles auxquel.les semblent être dénié le vivre.

Reprenons par le début. Le livre est une reprise et variation qu’offre le motif de l’oiseau en pochoir se remplissant d’une pluralité de références culturelles ; disons des reproductions d’œuvres picturales ou autres qu’on pourrait certainement déchiffrer comme ces signes cunéiformes qui font traces de pattes d’oiseau… Mais l’album ne demande pas déchiffrement autrement qu’à se laisser porter par son mouvement d’envol, son rythme de comptine (« je ne suis pas un oiseau ») qui refuse puis ouvre au ciel d’abord avec une série de planches animées par des reprises du motif de la lisière maritime où vagues, débris de plage et chute s’emmêlent, puis avec une autre série, celle de l’arbre, qui nous fait osciller, comme la pluie, la série suivante, entre des hauteurs et des profondeurs, des cimes et des fouilles, jusqu’à ce qu’une page livre voix vers ceux « qui sont en route sans savoir où aller ». Alors, nous voilà défaits, dépourvus, désossés de toute contenance, de toute assurance, de toute connivence même avec les oiseaux. Cet album fait le chant d’un déchant – je n’ai pas écrit désenchantement ! En effet, il est une invitation à se tenir avec ceux qui n’ont même pas la condition des oiseaux (et l’on sait combien celle-ci est aujourd’hui en péril puisque des espèces nombreuses disparaissent) pour au moins épouser leur chute « sur une espérance inimaginable ». 

Un tel album ouvre à l’expérience d’un principe espérance (Ernst Bloch) plus par sa lecture abandonnée au rythme que par son interprétation compréhensive, plus par le non-savoir que par la maîtrise, plus par la perte des repères (le jeu de cadrage) que par la stabilité des signes (aucun décodage n’est ici possible). Un tel album fait le risque de tout poème : essayer dire l’indicible, l’inaudible, l’inconcevable – un peu comme le chanteur Idir en épigraphe : « J’ai froid, mon pays, j’ai froid ». Ici peut-être, le « je ne suis pas un oiseau » de toutes celles et de tous ceux qui veulent aller ailleurs et qu’on empêche de passer, mais aussi de tout un chacun qui rêve d’un vivre ailleurs ici-bas. Un tel album, comme la moindre chanson qui dure sans qu’on sache pourquoi, maintient l’utopie de vivre. 

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