Alice Massénat, Le Squelette exhaustif (Les Hauts fonds, 2018), Europe n° 1087-1088, novembre-décembre 2019, p. 334-335.
Alice Massénat, Le Squelette exhaustif, illustrations de Guillaume Guintrand, préface de Jacques Josse, éd. Les hauts Fonds, 2019, 104 p.
Certes, si l’on considère le surréalisme sous l’angle de l’histoire littéraire ou des procédés et autres manœuvres pour occuper le culturel, le surréalisme est mort et enterré ! Mais dès qu’on lit Alice Massénat, voilà que son spectre surgit ou plutôt voilà que les fantômes d’une énergie qu’on croyait étiquetée au Musée Grévin des horreurs littéraires ne cessent de hanter la lecture. C’est que l’écriture d’Alice Massénat « marche sur le fil du rasoir » (Josse) pour non pas nous refaire le surréalisme, mais pour que la vie, sa vie qui s’y risque, ne fasse plus semblant dès que l’écriture la relance, la remette à survoir, à surréaliser et que « le grand saut » advienne dès « demain », ce « jeudi si intemporel ». La voix qui toujours au bord d’un cri tenu, « le corps bouffé d’heurs », jusque dans ses silences mêmes, sait quelle violence il faut endurer sur ce chemin d’écrire-vivre : « à dire vrai je n’étais qu’une vulgaire écharde / qu’on recouvre d’un drap de suif / et parmi ces échancrures / le tu s’éloigne à outrecuidance ». Mais l’adresse (« donnez-moi ce secret », « dites-moi je vous en supplie ») est incessante, « quand d’aucuns se taisent la bouche en cul-de-poule », et la demande d’écoute : « Je m’en vais / au plus loin de la mer / et de ces joints aux insidieuses outrances / pleurer, sans même un qui-vive ». De grands intercesseurs accompagnent (Bellmer, entre autres) dans ce mouvement qui demande d’étendre la haine des « curateurs de l’esprit » au « clergé » qui « siège », jusqu’à soi-même parce que « l’étrange est là / et je m’y assois ». Mais il faut aussitôt préciser combien c’est l’écriture haletante (« fuirai à toutes jambes », « je cours, je défaille ») et d’une précision redoutable (« je vandaliserai mes yeux et mes carquois ») parce qu’il s’agit de ne jamais céder pour « piaffer ces trémolos du sépulcre » : « et je serrerai enfin le seuil de formol / en suicide annoncé » et « le gouffre traqué / s’en vient invariablement ». La syntaxe, le lexique, les rythmes tonitruent de concert à contre « cantiques d’affabulateurs ». Le surréalisme d’Alice Massénat est une critique sans ménagement de tout poétisme (« éructer et recracher où bon me semble ») comme de toute bienveillance, comme si le discours socialisé (psychiatrique, policier, etc.) et celui des « scribouillards de bonne mine / aux déblatérations sans quelque fronce / que le cri n’émeut même pas », pouvaient écouter autrement « sa voix cadenassée par des aplombs de fortune ». Cette critique emporte alors, comme chez Ghérasim Luca, un « Je » : « Et comme un os de sursis / je t’exhume de tous nos palans / à qui de droit nos mains je te hèle / je t’exècre/ et je t’exclame ». C’est alors une danse (macabre et vive) pour « Foutre le camp d’un monde qui se tait / qui nous exècre et qui se pâme / au bon vouloir du qu’en-savoir ». Le ton de la voix est alors prophétique (« Tanguer et charrier le verbe d’outrecuidance pour tuer les rêves la peur et le désespoir »), quitte à « crever la première », « Matraquée / Spoliée / inerte ». Aussi, le lecteur est-il mis au défi de « Prendre au sérieux tout l’aval d’une scansion bringuebalée », non pour trouver quelque motif raisonnable à la source d’un tel rythme, mais bien plutôt pour se voir inoculé tout le trouble de la voix du poème d’Alice Massénat, qui agrandit encore plus cette formule de Max Ernst : « L’identité sera convulsive ou ne sera pas ».
Serge Martin
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