Dans l'Humanité du 6 mars 2008
Enquête de poésie à l'occasion du printemps des poètes, à l'invitation d'Alain Freixe.
Serge Ritman,
Si les poètes sont des passeurs de poèmes, je vote pour le printemps des poètes, mais la voix a besoin de plus que d’un bulletin et le poème n’a ni heure ni saison. Il se débat au coeur du langage par et pour tout un chacun. Il prend toutes les saisons et fait notre histoire à contre-époque, se moquant bien du décor, des ors et autres spores (entendez sports et autres semences du bio-politique). Bref, c’est le poème qui fait le poète et non l’inverse : alors dix ans ne suffisent pas. Une vie non plus. Restent nos résonances.
Dernier ouvrage paru :
Éclairs d’oeil,
Éditions Tarabuste, 2007.
Ce qu'on dit les autres poètes:
Jacques Ancet
« Le "paysage poétique" me semble plus vivant qu’il y a dix ans. Les lectures débats (à Paris et surtout en province), les rencontres avec les classes, les initiatives diverses (expositions, représentations, éditions de recueils autour de thèmes choisis, etc.) sont plus nombreuses. L’audience de la poésie paraît donc s’être élargie, et c’est bien, même si, par sa nature même et fort heureusement, elle n’a et ne peut avoir aucune place dans le système mercantile qui est le nôtre. Ce qui ne signifie pas, bien sûr, que la qualité de la création poétique soit nécessairement meilleure qu’elle ne l’était autrefois. Mais ceci est une autre histoire…
Dernier ouvrage paru :
Entre corps et pensée, Éditions L’idée bleue/Le dé bleu, 2008
Jean-Marie Barnaud
« Je ne sais trop répondre à cette question, hormis les évidences : ces mois de mars, oui, on parle d’elle, cela rayonne autour, de multiples actions dans toutes les villes se lancent, elle inspire lectures, performances, échanges, émissions, affichages… Elle regarde vers l’enfance, laquelle, on le sait, la mérite bien plus et mieux que les édiles. Et cela, oui, est neuf dans l’histoire de l’Hexagone. Sous l’impulsion d’âmes non vendues et résistantes, elle ose montrer, comme on le dit à Grasse, un certain "visage"…
Et donc on communique beaucoup autour d’elle. Bravo !
Mais quel est son paysage ? Ce mot, comme on le dit de l’audiovisuel, dont le paysage, précisément, est sinistre, et avec qui elle ne marchandera jamais sa liberté, lui convient-il, à elle qui veut le silence et le recueillement d’une parole rare et simplement offerte, les aliments furtifs de sa résistance ?
Dernier ouvrage paru : Venant le jour, Éditions Cheyne, 2004
Madeleine Carcano
« Dans les bus, les stations de métro, les poètes font partie du paysage et, dans les conversations, ils ne sont plus ces farfelus d’un autre âge qui écrivaient dans une langue qui n’était commune à tous. Le poète est au milieu de nous tous, avec ses joies et ses regrets, ses nuits et ses jours. Aux couleurs de la vie. »
Animatrice de la revue
Lieux d’être.
Henri Deluy
« La poésie n’existe pas » (Denis Roche). Cette affirmation, qui pouvait passer pour une boutade, trouve, depuis dix ans, sa confirmation. La ramification des types d’écriture, des abords, des lectures, des écoutes, montre que ce sont les poèmes qui existent, dans une écriture et/ou dans les manifestations qui se proposent sous cette dénomination ; des poèmes et non pas on ne sait quelle essence qualifiée de poésie. Des poèmes avec un environnement économique, idéologique, complexe, que l’existence du Printemps des poètes n’a pas touché, malgré la démagogie de son nom, et une couverture médiatique qui est son incontestable succès.
La situation de l’édition, de la diffusion et de la lecture s’est aggravée. De petites maisons disparaissent, d’autres poursuivent, en difficulté ; des revues s’effacent (dernièrement le Nouveau Recueil), les autres connaissent une diffusion restreinte ; les grandes maisons, sauf cas d’espèce, comme la collection « Poésie/Gallimard », en dépit du courage de P.O.L et de Flammarion, et certains succès de circonstance, ont des tirages minimes. Très peu de bibliothèques suivent l’actualité éditoriale, elles soutiennent encore moins de leur abonnement les revues qui persistent. L’existence de réseaux nombreux, sur la Toile, ne comble pas ces manques. Et, comme en d’autres domaines, les effondrements idéologiques n’ont pas fini de travailler.
Dans l’écriture, les poèmes continuent de changer, y compris dans l’oeuvre de ceux pour lesquels le poème est une aventure existentielle aux prises avec une écriture en danger. Les changements, voire les mutations, viennent d’une extension de la conception visuelle, sonore. Le poème devient souvent un numéro dans un spectacle donné pour tel, il n’est plus justifié par son objet et sa matière verbale mais par la désignation et la manière dont il est présenté ; plus de discrimination substantielle entre le poème dans et par l’écriture, et le poème qui fait appel, en tout ou en partie, à d’autres formes artistiques, il veut se manifester dans une sorte de plénitude physique de la parole expressive.
Malgré le nombre de trouvailles qui ne sont que des novations insignifiantes, ces réalisations scéniques, énergiques et différentes, sont souvent de qualité et rencontrent la faveur d’un public avide de spectacle.
Donc, une poésie riche, diversifiée, de haute qualité, appréciée internationalement, avec un statut public amoindri et une place dans la vie de la nation réduite à la portion congrue.
Rédacteur en chef de la revue Action poétique. Derniers ouvrages parus : Au blanc de neige, Éditions Virgile, 2007, les Arbres noirs, Éditions Flammarion, 2006.
Suzanne Doppelt
Il me semble que la poésie tend à devenir de plus en plus autre chose qu’elle-même, soit en s’associant avec d’autres formes d’expression, soit en se démultipliant. Dessins, photographies sont articulés organiquement avec des textes, comme on le constate dans les cas de Jean-Jacques Vitton, Pierre Alferi ou même Eduardo Kac qui utilise la photo scientifique. À l’autre aile, un mouvement continu la porte vers le théâtre, vers la musique, et pas forcément comme elle l’a toujours fait avec la poésie sonore, mais en se rapprochant de la chanson, de l’opéra, du théâtre.
Comme s’il était plus difficile de se contenter d’écrire.
Ou peut-être parce que ceux qui sont prêts à partager se prennent moins au sérieux
Poète et photographe.
Dernier ouvrage paru :
Le pré est vénéneux,
Éditions P.O.L, 2007.
Patrick Joquel
« Une des grandes avancées de la poésie ces dernières années se situe au niveau des écoles. On est passé de quelques poèmes appris par coeur par an, à la lecture de recueils entiers. On est passé des poètes classiques à la poésie contemporaine. À une poésie même concrète puisque des classes écrivent aux poètes, reçoivent des poètes. Cette présence du poème à l’école permet tout simplement de mettre un peu de liberté, de transgression, d’émotion et d’humour dans l’éducation nationale. Notre monde en a bien besoin. »
Dernier ouvrage paru :
Poésie maternelle,
Éditions Magnard, 2007
Béatrice Machet
« Les interventions en milieu scolaire, même si c’est un travail trop court, imparfait, incomplet, avec tendance de certains enseignants à la consommation plutôt qu’à l’implication personnelle, permettent aux enfants une approche de la poésie dépoussiérée, les plongent dans une pratique aux côtés des poètes bien vivants, les reconnectent à leurs sources d’imagination et de créativité, ce qui est une victoire en soi. Le paysage poétique aujourd’hui me paraît très coloré, certes composé d’un "poétariat", comme le dit Jean-Claude Pinson (les poètes médians des ateliers d’écriture qui contribuent à la démocratisation des arts en général), mais aussi de la post-poésie qui bouscule les frontières et quitte les limites d’un espace strictement littéraire. Mais également paysage venu de l’âge des poètes (du rapport du poétique à la vérité et au philosophique, légende de l’être), qui s’en irait (Philippe Beck en tête), au poème chargé d’une pensée philosophique (question du subjectif, conte de l’impersonnage). »
Poète. Elle traduit
les poètes amérindiens
chez Voix et Wigwam.
Jérôme Mauche
Il y a dix ans je n’écrivais certainement pas de la poésie mais lorsque j’ai cherché à montrer mon travail, ce furent quelques revues, des lieux de diffusion dits de poésie contemporaine qui ont été, entre guillemets, là aussi intéressés. Aussi certainement dois-je écrire de la poésie et pourquoi pas ? Celle-ci étant dans un état de minorité absolue, elle est susceptible en effet d’accueillir des projets, des propositions qui foncièrement n’ont rien à voir les uns avec les autres. Le champ poétique me paraît actif, inventif, brillant. Qu’elle n’intéresse personne d’autre que les poètes est potentiellement une excellente chose. Étant un marché parfait, elle induit que toute personne qui s’y intéresse développe ou développera son propre travail. La simplicité de sa mise en oeuvre, son adaptabilité, sa pauvreté en font un exercice éminemment démocratique.
Anime un atelier
danse poésie à la Ménagerie de verre à Paris.
Dernier livre paru : la Loi
des rendements décroissants, Éditions Seuil, 2007 .
Raphaël Monticelli
La relation à la poésie et aux poètes a changé. Oui, le paysage poétique a commencé à changer… Considérons qu’il ne doit s’agir que d’un début. Il faut encore inscrire ça dans les fibres et le sang.
Dernier ouvrage paru :
Bribes tirées de la mort
de Dom Juan,
Éditions L’Amourier, 2006.
Véronique Pittolo
La poésie depuis dix ans ?
Il me semble que plus le temps passe, plus la poésie porte sur elle un vêtement trop petit.
Je m’explique.
Le développement des pratiques sonores et orales, les divers modes d’exposition du texte, performances, fictions radiophoniques, mises en voix et mises en espace dans des dispositifs qui ne sont ni théâtraux ni spécifiquement poétiques, toutes ces mutations du texte contemporain assignent à la poésie un genre qui l’excède. Ainsi, certains trouveront ringard de se désigner encore comme de simples poètes, d’autres préféreront inscrire roman sur leur première de couverture, d’autres encore brandiront la banderole du performer.
Alors la poésie a évolué, certes, mais par rapport à qui et à quoi ?
Au roman ? Aux arts plastiques ? À la scène ? Et vis-à-vis du poète, qu’en est-il ? Peut-être est-il désormais caduc de mettre en avant la vieille dichotomie lyrisme-littéralité. J’en veux pour preuve mon attachement à des types d’écriture extrêmement divers : je peux aimer un certain lyrisme (Bouquet, Mainardi), autant que l’expérimentation la plus radicale (Sivan, Maestri), ou encore les transgressions fun à visée politique (Mauche).
Si je me réjouis de cette multiplicité, je déplore dans le même temps la marginalité encore trop grande des circuits de diffusion, la précarité économique d’éditeurs exigeants, le manque d’efforts de lecteurs qui préfèrent les recettes éculées de la narration balzacienne.
Dernier ouvrage paru :
Opéra isotherme,
Éditions Al Dante, 2006.
Katy Remy
« Non, le réchauffement poétique n’est pas encore sensible à notre échelle, bien que de nombreuses expéditions soient organisées pour établir de nouvelles cartes de géopoétique. (…) La blogosphère, si elle laisse entrevoir parfois quelques figures originales, a contribué à charger l’espace d’indénombrables microtalents. Le réchauffement a commencé par faire proliférer les écriteurs, au détriment des lecteurs de poésie. Un peu comme si plus personne ne regardait un match et si tout le monde croyait savoir, voulait pouvoir taper dans le ballon. »
Animatrice du Jardin littéraire, a publié aux éditions Tipaza, Sous les lianes et
les Récits de la grande peste.
Serge Ritman,
Si les poètes sont des passeurs de poèmes, je vote pour le printemps des poètes, mais la voix a besoin de plus que d’un bulletin et le poème n’a ni heure ni saison. Il se débat au coeur du langage par et pour tout un chacun. Il prend toutes les saisons et fait notre histoire à contre-époque, se moquant bien du décor, des ors et autres spores (entendez sports et autres semences du bio-politique). Bref, c’est le poème qui fait le poète et non l’inverse : alors dix ans ne suffisent pas. Une vie non plus. Restent nos résonances. »
Dernier ouvrage paru :
Éclairs d’oeil,
Éditions Tarabuste, 2007.
Claude Vercey
« Le Printemps pose problème surtout quand, comme nous sommes (voir mon dernier message à propos de l’association Impulsions et son site), on est à la fois poète et organisateur de rencontres poétiques. On peut dire que cette manifestation est victime de son succès : au départ, on a vu apparaître à cette date du printemps des manifestations qui n’auraient pas existé sans lui ; mais à la suite, sous la pression des municipalités, les bibliothèques (dans lesquelles nous intervenons de manière privilégiée) se devaient d’organiser leur manifestation à cette date (et souvent elle est unique) si bien qu’on en arrive à un encombrement pendant une semaine, tandis que le reste de l’année est de plus en plus déserté. »
Animateur aux côtés
de Jacques Morin de la revue Décharge. Dernier ouvrage paru : Aime ta joie,
Éditions Le dé bleu, 2004.
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