mercredi 28 décembre 2022

Paul-Jean Toulet

Sandrine Bedouret-Larraburu, Isabelle Chol et Jérôme Hennebert (dir.), Paul-Jean Toulet, les « prismes » de l’écriture (Presses de l’Université de Pau et des pays de l’Adour, 2021), Europe n° 1125-1126, janvier-février, p. 353-354.




 

Cet ensemble, issu d’un colloque tenu à Pau et à Guéthary en septembre 2020, est d’abord original par son format. Ce dernier ressemble bien peu aux actes d’un colloque universitaire puisqu’adoptant un format vénitien, il offre de nombreuses photographies dont Toulet était un amateur averti et propose ainsi, entre textes et images, « une carte du tendre », ainsi que conclut David Bedouret à propos de ce « géo-photographe ». Expression qui sied parfaitement à l’œuvre de l’auteur resté célèbre pour ses Contrerimes. Celles-ci constituent le cœur de l’ouvrage avec trois fortes études qui permettent de relier le « phrasé » (Laurent Mourey), « l’envers du visible » (Michel Viegnes) et le « nom propre » (Jérôme Hennebert) d’un Toulet dont la spécificité poétique tient certainement à « l’éclat du bref » visant cependant non la clarté mais « une inquiétude dont le langage est la densité » pour peut-être « pointer un innommable ». Cette « poétique de la brièveté » traverse les genres chez Toulet, Peter Cogman montre que dans ses romans comme dans ses poèmes, cela tient à une quête de « résonance ». Même quand il mirlitonne, Toulet « tend à constituer la défaillance de la langue et du vers en événement poétique ». C’est ce que Isabelle Hérisson, dans une très belle étude, montre de près en observant comment « le sens traverse des lignes prosodiques qui doublent la syntaxe », et que Juliette Lormier relance avec les « hardiesses rythmiques » d’Entr’actes pour y faire apparaître « l’élégance inopinée de la discordance ».  Mais « Toulet polygraphe » demandait aussi d’observer son journal (Michel Braud), son théâtre (Hélène Laplace-Claverie) et « les tribulations d’un Béarnais en Indochine » (Jean-Yves Puyo) non sans y noter la part tragique, et inaccomplie mais également la « frustration (pour le lecteur) »… si ce n’est des silences malheureux concernant le colonialisme français. Il était inévitable de rappeler le lien avec Jean Moréas, aussi Yves Piantoni note combien ce « couple demeure problématique » entre « cendre dans la bouche » et « « goût de miel suave » dans la cendre ! Cette « douceur des choses », Jean-Luc Steinmetz y revient en ouverture des actes pour rappeler combien Toulet demandait de la « décontenancer » par autant de paroles à voix basse, de « romances sans musique ». C’est donc bien par « l’ironie, ou le sourire doux-amer » (Maxime Colbert de Beaulieu) qu’il faut prendre Toulet tel qu’en lui-même, insolent et tendre à la fois comme disait son ami Henri de Régnier, travaillant à la retenue (« Petitoie-toi-même », écrivait-il !). On dira enfin que Toulet aurait échoué quant au roman, mais ne préfigure-t-il pas des tentatives peut-être plus heureuses chez ses successeurs quand, par exemple, il traite la narration « de manière elliptique » , « la description » lui permettant « en revanche des circonvolutions, qui rappellent que tout n’est que langage », d’autant qu’il réussit jusque dans sa prose romanesque à faire passer « ce déferlement sous-jacent de l’onde qui passe », ainsi que le rappelle avec précision Sandrine Bedouret-Larraburu reprenant une remarque de Francis de Miomandre, l’ami de Toulet.

Les écrivains mineurs, du moins ceux que l’histoire littéraire classe ainsi, ne sont-ils pas des prismes permettant de mieux concevoir les enjeux de l’écriture par les moyens d’une attention au spécifique et de renvoyer sur bien des œuvres, mêmes célèbres, quelque lumière inédite, car comme écrivait Toulet à propos du regard des enfants : « Tout ce qu’ils voient, serait-ce la plus fade lumière, leur prisme en fait de la pierrerie »… 

                                                     Serge Martin

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