dimanche 31 janvier 2010

Langage et relation. Poétique de l’amour


Langage et relation. Poétique de l’amour, coll. « Anthropologie du monde occidental », Paris : L’Harmattan, 2006, 334 p.

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=20343

La critique littéraire, la linguistique, la phénoménologie, l'esthétique, etc., proposent le plus souvent une relation critique sans une critique de la relation dans et par le langage. Après avoir opéré la critique des pensées substantialistes qui entretiennent les dualismes (le même et l'autre, la présence et l'absence, l'ordinaire et la fête, etc.) dans L'Amour en fragments. Poétique de la relation critique (Artois Presses Université, 2004), il a fallu engager la réflexion critique au plus près des mouvements relationnels subjectifs dans Rythmes amoureux. Poétique du corps-langage(Comp'Act, 2006).

En prenant appui sur un corpus importants de textes poétiques de ces trente dernières années, connus et inconnus, majeurs et mineurs, poètes et oeuvres permettent d'observer des subjectivations singulières (individuelles et/ou collectives ; culturelles et/ou personnelles) qui vivent de l'amour, c'est-à-dire de la relation au plus haut point. Alors peuvent être reconsidérées des dichotomies comme celles du lyrisme et du formalisme, de la poésie et de la chanson, de la vie et de la littérature aujourd'hui, au coeur des vies et des expériences, c'est-à-dire au coeur du langage : non seulement ce qui s'y dit mais surtout ce qui s'y fait. Parce que c'est ce dernier point de vue qui intéresse la poétique comme critique de l'individu et de la société par la critique du langage. L'enjeu est bien celui du défi que lance la relation amoureuse à une théorie du langage. Cette relation qui ne cesse de faire la une des magazines, de jouer le premier rôle dans les romans et, dit-on, de répondre absent dans les poèmes Alors le défi de l'amour devient aussi le défi du langage : penser la relation dans et par le langage. Finalement cet ouvrage cherche à poser les fondements d'une anthropologie historique du langage afin d'indiquer les conditions d'une pensée de la relation et donc de la relation amoureuse hors de tout psychologisme ou sociologisme

Serge Martin est enseignant à l'IUFM de Versailles (site de Cergy) et à l'Université de Cergy-Pontoise (centre de recherche « Textes/ Francophonies »). Il est rédacteur et chroniqueur à la revue Le Français aujourd'hui et membre du groupe POLART (Poétique et politique de l'art). Il est écrivain sous le nom de Serge Ritman.


SOMMAIRE:

Chapitre 1 L'anthropologie de la relation dans et par le langage 5
1. Au croisement de la critique de l'art et de la société : la poétique 5
2. Anthropologie et langage : conjugaisons
ou relations ? 15
3. Avec la sociologie, la relation fait-elle
la différence ? 30
4. Vers une anthropologie de la relation dans et par le langage 37

Chapitre 2 Divin signifiant passionnément 51
1. Le divin contre le religieux 51
2. La fable divine entre la rhétorique et la poétique 62
3. La voici la voix relation 78
4. Signifiant relation : un participe présent 91

Chapitre 3 La volubilité : une force amoureuse 101
1. Le don par la relation volubile 101
2. La volubilité de l'imperceptible 111
3. Penser Humboldt aujourd'hui 126
4. La volubilité amoureuse de partout 137

Chapitre 4 Les gestes du poème-relation 143
1. Le geste : extension ou coeur de la relation ? 143
2. Plus de rythme pour toucher, tourner 151
3. Danse : désaisissement 164
4. Le geste : l'inconnu de la relation dans le corps 171
Chapitre 5 L'élégie, une force de vie 177
1. Une espèce d'infirme bien portant 177
2. Ce dont on ne peut pas parler, il ne faut pas le taire 186
3. Les élégies méditerranéennes : relation ou contrat ? 194
4. Coeur, élégie rouge 205

Chapitre 6 La communication changée en relation 219
1. La pragmatique et le poème 219
2. de la comptine au roman post-moderne : quelle
relation ? 223
3. Ordinaire et extraordinaire : conversation et relation 238
4. Le canal, la rue : communication ou relation ? 244

Chapitre 7 Politique du langage, politique de
l'amour 271
1. Le sujet amoureux : l'entre-temps de la relation 271
2. De la sincérité à l'admiration, quelle politique de la relation ? 284
3. La main de Paul Celan : une expérience-relation 301
4. La relation dans et par le langage 309

Bibliographie 321

Index des noms 327


Recensions:

Arnaud Bernadet: Compte rendu de Serge Martin, Langage et relation – poétique de l’amour, L’Harmattan,

coll. « Anthropologie du monde occidental », in Europe n° 928-929, Paris, septembre 2006, p. 376-377.




Laurent Mourey dans Résonance générale n°2 ("Rien ne se répète avec l'art critique"), éditions l'atelier du grand tétras, hiver 2008, p. 137-146.

De l’intersubjectif pour une anthropologie de la relation dans et par le langage

Face aux dualismes qui dominent dans et par la philosophie, l’anthropologie, la sociologie et les études littéraires, penser, écouter la relation dans et par le langage est un défi. Et le point sensible où s’exerce cette écoute est le poème quand « il fait la relation » et « fait l’amour ». Aussi cette écoute est-elle l’exercice amoureux, relationnel du livre de Serge Martin, Langage et relation, poétique de l’amour (L’Harmattan, collection « Anthropologie du monde occidental », 2005). Parce qu’il a son sujet, spécifique, et parce qu’il est inséparable d’une éthique qu’il informe et dont il invente les valeurs, le poème invente à chaque fois une relation dans et par le langage. En cela il ne cherche pas son lecteur ; il le trouve et le transforme ; sans quoi il n’y aurait pas relation, mais juste une réceptivité, ce à quoi l’esthétique de la réception a réduit la relation, avec l’horizon d’attente. Une autre réduction, qui en procède, est celle qui soumet l’acte de lecture à la compétence du lecteur. Certainement la relation, son concept, permet de repenser la réception et son dualisme lecture-écriture. L’activité d’un sujet relationnel, l’interaction entre une énonciation et une réénonciation sont des jalons théoriques pour une poétique de la relation. Cette réénonciation-relation du poème est à l’œuvre dans le (et l’œuvre du) livre de Serge Martin.

Le défi de ce livre est pluriel : de la relation, de l’amour, du poème, du sujet, du langage, du discours, de l’historicité. Une pluralité interne au langage, au discours est le défi lancé à tous les dualismes, les modélisations et les schématismes. Il ne s’agit « pas de construire, voire de retrouver sous les textes, un "modèle d’une structure relationnelle" mais de s’exercer à chercher les implications de la vie et du langage, de l’éthique et du poème, du politique et du poétique, par l’écoute vive des historicités considérées au cœur de l’historicité radicale du langage. » (p. 6)

La relation est le renversement de la structure, lequel pose le discours comme transformation et dynamique de la langue et l’activité d’énonciation comme des leviers théoriques majeurs. Par là l’historicité des pensées du discours et du sujet continue et recommence. Penser la relation avec Humboldt, Saussure, Benveniste et Meschonnic.

Serge Martin commence par une critique de l’anthropologie pour faire une « anthropologie de la relation dans et par le langage ». Le problème est la modélisation et ses conservatismes sournois comme le slogan de Charlie Hebdo « solitaire et solidaire » qui renforce les « dualismes sociologiques », notamment celui qui « oppose individu et collectivité » (p. 7-8). Il y a également à se méfier de tout ce qui maintient l’opposition « de l’identité et de l’altérité » pour penser la relation comme décentrement. La rhizomatique de Deleuze et Guattari pourrait être opératoire, malheureusement, piégée par l’esthétique et la métaphoricité, elle est incapable de penser le langage. Pour une « relation anthropologique » (p.14) Serge Martin travaille à « une pragmatique des voix, des gestes et des corps dans les histoires de la relation, ce qui demande l’écoute de la vie et du langage dans les poèmes du langage. » (p. 13) C’est le travail de la poétique, ici et maintenant, de la lecture-relation, « quand le poème se fait légende et fait légende, dit ce qui est à lire (legenda = lire ce qui est à lire) et à lier hors de toute définition : un infini du sens et le sens de l’infini, de la relation et du langage. » (p. 15)

Les catégories de l’anthropologie qui bloquent une critique de la relation sont critiquées : la « politique du juste milieu » (p. 18), « la métaphore du décentrement », fidèle pendant du « centre identitaire de la "conscience" ou de l’intériorité et de la polarité dualiste de l’altérité. » (p. 19) Faire une « anthropologie de la relation » oriente ainsi une tension, une critique des notions l’une par l’autre : critique anthropologique de la relation, critique de l’anthropologie par la relation, où le poème est le levier théorique fort, parce qu’il permet de penser la pluralité. Mais il y a « relation » et relation. Et « le pari de la relation », quand on le tient dans le langage, est celui que « Mauss visait » : « l’aspect vivant » (p. 37) d’une société et non la séparation de Bourdieu entre un « être distinctif » et un « être significatif » qui est une erreur pour une pensée de la différence, pour penser « ce qui produit la valeur d’une activité relationnelle de différenciation » (p. 33). L’effort de penser avec Saussure ne disjoint pas les deux, comme l’effort de penser l’individu et la société implique une critique du centre identitaire et du « style de vie unitaire » (Bourdieu, cit. p. 34).

De fait, « l’anthropologie par la poétique » invente une critique et une « orientation ». Et « il semble impossible de concevoir une poétique de la relation amoureuse en lisant la poésie contemporaine, sans donner à tout essai de poétique une dimension anthropologique sous peine de réifier des absolus, de réitérer des thématismes ou des rhétoriques aveugles aux rapports qui tiennent le continu des poèmes et de la société, de la littérature et de la vie. » (p. 39) D’où l’efficience des concepts de « poème-relation », « signifiant-relation », non des figures de rapports, mais des rapports de signifiance ayant leur pan-sémantique spécifique. Alors « les enquêtes devraient permettre de proposer quelques pistes pour que politique du langage et politique de l’amour puissent se penser ensemble » (p. 41-42) Ces enquêtes sont portées, à partir de Humboldt par une « généralité préexistante » : « la relation dans et par le langage ». (p. 42)

La première étude d’un poème, d’une « signifiance inédite », est celle de L’Île d’Isabelle Garro, « l’histoire d’une voix dans ses transformations infimes et merveilleuses. » (p.48) Cette étude pense le poème avec « le travail de l’interaction, la Wechselwirkung de Humboldt » (p. 48) et l’articulation du système et de la valeur de Benveniste qui voit la vie et les pratiques dans le langage. La « poétique de l’amour » est une écoute généralisée, une anthropologie des formes de vivre et de faire l’amour et la relation dans et par le langage.

La poétique de l’amour est continue à une poétique du divin, dans le deuxième chapitre « Divin signifiant passionnément » qui pense « le divin contre le religieux ». Le passionnément langage qui est un « divin signifiant passionnément » permet une critique des sacralisations – « la sacralisation du lien à Dieu ou à la femme par une sacralisation de certaines formes textuelles qui perdent ainsi tout rythme de la relation. » (p. 52) La signifiance comme energeia, activité, passage de sujet à sujet fait penser le divin par « l’infini des historicités » (p. 99). Contre l’Un du sacré les poèmes de Luca « qui lance[nt] un corps-langage à « gorge dénouée » » (p. 91) et de Vargaftig « nous [reliant (…) à] un « toujours » qui nous fait tenir ensemble l’infini et le quotidien, le divin et l’humain, le spirituel et le corporel comme on dit banalement ». (p.78) Ces poèmes font entendre une multiplicité interne, une prosodie, une sémantique du divin parce que du sujet-relation. Meschonnic : « Dieu est bien, aussi, un problème de langage. » (cité p.76) Ce qui implique de penser la mystique autrement.

Le troisième chapitre « la volubilité : une force amoureuse » travaille vers une force langage-force relationnelle par le concept de volubilité, à distinguer de la vitesse, piège qui empêche Deleuze de penser le rythme et le langage dans leur spécificité. La volubilité permet d’envisager la « dynamique du couple » (cit. p. 104) et la théorie du don et du contre-don de Mauss au cœur du langage et des poèmes. Des poèmes de Jacques Ancet sont alors lus : une écoute de « la « voix intérieure », non pas « incarnée dans la matière verbale » comme Ancet lui-même le dit au sujet de Mallarmé, ce qui nous fait tomber dans les « réflexes traditionnels qui instrumentalisent le langage » pour le religieux au lieu d’écouter une poétique du divin, mais « le mouvement subjectivant, le "sujet" au sens où c’est ce qui "l’anime" autant que ce qui lui donne corps. » (p. 115) La volubilité sera pensée avec l’energeïa de Humboldt dont le Beredsamkeit est heureusement traduit par Caussat par « volubilité plutôt que par éloquence » (p. 134) : d’abord le discours. C’est ce qui permet également le primat du poème sur la rhétorique. Puis la volubilité comme continu des voix dans la voix avec le poème « De Partout » de Sylvie Nève (p. 138-141).

Serge Martin nous fait donc lire en ouvrant nos oreilles, une ouverture sur le pluriel interne à chaque activité langagière, à chaque discursivité, en même temps qu’une ouverture sur la société. La relation est un opérateur fort d’écoute des sujets, comme l’est le rythme avec Meschonnic. Dans et par le langage : la relation est volubile et gestuelle ; elle met le trans-linguistique et le linguistique dans le poème du langage : « il faut penser le continu du signe et de la force, du geste et de la parole, voire même, la parole comme geste, le poème comme geste-relation au cœur du langage. » (p. 149) Et ce « cœur » n’est pas une métaphore, mais une valeur de la pensée poétique de Serge Martin : ce « cœur du langage » est aussi « cœur de la relation » (p. 143) ; il ouvre le quatrième chapitre, « Les gestes du poème-relation » vers un corps-langage qui ne sépare pas le concept de l’affect. Ainsi sont lus des gestes rythmiques-prosodiques : le « toucher, tourner » (p. 151) des poèmes de Jean-Luc Parant, la « danse : dessaisissement » d’Ariane Dreyfus qui est ce que je lis comme la tournure de son écriture : « Ce que la poésie peut faire (avec) l’amour, seule la poésie doit (pouvoir) le faire, et à chaque fois, chaque poème, un faire jamais fini même quand il est fait. » (p. 165) L’exigence que suppose chaque poème, et l’inconnu qu’il construit, conduit à le retirer des formalismes et des esthétismes, Deleuze et sa pensée esthétisante du langage, et malgré ses intuitions porteuses. Mais l’écoute de l’inconnu va du bouche à oreille du poème au voir et entendre prononcer du théâtre, avec Claudel dont l’écriture permet de porter ces gestes-relation du poème à la scène. Ceci montre tout ce que peut apporter une théorie du langage et du poème au travail dramaturgique : une poétique de la dramaturgie, un théâtre de voix, de corps plutôt qu’une « représentation théâtrale ».

Déplacer les genres, les notions est ce qui se poursuit au cinquième chapitre « L’élégie, une force de vie ». Il s’agit de passer des « thrène », « métrique » et « larmes » à l’élégie chant d’amour, « fort comme la mort » (p. 177-178). Cette entreprise implique de penser le poème-élégie contre la stylistique de Mainguenau et son « texte organisé » ainsi que la séparation « ethos-discursif » vs « ethos pré-discursif ». En témoigne sa lecture catastrophique et éclectique de « Monsieur Prud’homme » de Verlaine, avec laquelle Serge Martin s’amuse et nous amuse beaucoup – et il a bien raison ! Mais le prud’hommesque continue avec Emmanuel Hocquard et sa littérature pour littérateurs. La bourgeoisie est littéraire et textuelle : une littérature des assis de la littérarité. Son recueil Elégies ne fait que signer un contrat générique, « une recherche sans risque » (p. 193) : « Les « sonnets » sont certainement « élégiables » pour Hocquard : il suffit que les textes ainsi dénommés fassent quatorze vers. » (p.190) C’est bien ce que font les avant-gardes : du texte, pas le poème, qui signe également la poésie comme écart, met la poésie dans l’ « énoncé », le « ton » forcément triste, « pessimiste », amassant clichés sur clichés dont Serge Martin nous en présente un florilège qu’il conclut en écrivant : « Toutes les époques ont leur Sully Prudhomme. » (p. 194) – du littéraire et de l’historicisme, rien que ça. Comme il s’agit de poèmes, et non de faire des vers, la réflexion et la pratique iront vers la force, non vers la forme, le poème-vie et non la poésie littéraliste. Et faire la critique du contrat générique pour aller vers le poème passe par une critique de l’historicisme de Paul Veyne et sa définition naïve de la sincérité impliquant une défiance à l’égard du langage et maintenant le cliché catastrophique qui sépare sincérité et littérature : ce qu’il fait sans arrêt avec l’élégie latine. À l’inverse de ces idéologies Serge Rezvani parvient à faire « entendre une petite voix dans la grande [la machinerie des codes et figures élégiaques] qui va "s’affolant s’affolant" : une carcasse qui grince d’un souffle de vie. » (p. 205) James Sacré « plus que l’installation dans un genre (…) convie à un mouvement vers l’inconnu. » (p. 213) La relation dans les poèmes « toujours à vivre » (p. 218) permet une lecture-vie de « l’intimité extériorisée » (p. 211).

S’il est critique des codes sémiotiques littéraires le « signifiant-relation » fait la relation par la signifiance, la signifiance par la relation, laquelle transforme la communication. Le sixième chapitre « la communication changée en relation » commence par poser le problème de « la pragmatique et le poème ». Et l’activité signifiante a son allégorie dans le théâtre. Claude Régy donne une définition forte de la pragmatique : « Ce n’est pas du tout l’idée d’une œuvre arrêtée : le poème dépend de ce qu’on en fait, dépend de qui le vit. » (cit. p. 221) Certainement cette pragmatique-là rassemble ce que la tradition sépare dans le schéma de la communication et ses deux pôles s’articulant autour d’un message. Serge Martin prend la comptine comme poème-relation, de « l’effeuillage prosodique » (p.228) amoureux de « Margueritte » à la « Prose du transsibérien » de Cendrars où « la comptine emporte le poème » (p. 229). Si la théorie de la « pragmatique relationnelle » remet en cause la communication c’est que celle-ci objective le langage par le message et son émission-réception. Or la subjectivation est un « phrasé […] d’abord celui de la pensée dans et par le langage ». De la comptine au phrasé la transmission est inséparable du transmetteur et l’engage tout entier dans son activité, c’est-à-dire dans la relation. Du coup l’acte de raconter n’est pas subordonné au récit, ce communicable du roman, mais au récitatif, ce que Serge Martin relève en lisant Passion fixe de Sollers où « l’énonciation romanesque fait du récitatif non le porté mais le porteur du récit », « cette recherche d’un récit qui n’est que le porté du récitatif ou, en d’autres termes, la relation amoureuse ». Une portée et un phrasé non-musicaux, mais de langage, on l’aura entendu : « la relation qui est la "porteuse" dans et par le langage… à moins que la relation n’en soit la "portée"… musicale. » (p. 237). « Chercher sa musique » n’est pas autre chose que chercher son phrasé-récitatif-rythme de langage. De même que « chercher des manières de "raconter" qui critiquent le ou les modèles académiques » (p. 234). Alors en trouvant « des manières de "raconter" qui critiquent le ou les modèles académiques » (p. 234) Sollers devait aussi trouver sa réponse et la critique de ses propres catégories critiques…

On reste souvent bloqué dans des termes. Langage et relation montre que le travail de concepts opérateurs permet de libérer les discours. Le couple ordinaire-extraordinaire, ses implications dans les théories du discours, ne prouve que ce blocage. Les théories de Kerbrat-Orecchioni réalisent ce blocage de l’interaction dans la conversation garante d’ « authenticité » et les « rituels de la communication ordinaire », doublé d’une vision du discours et des pratiques langagières comme agencements d’énoncés, compétences, modèles, « différentes variantes de la langue, entre lesquelles le locuteur choisit en fonction du contexte discursif » (cit., p. 241). A lire une citation que rapporte Serge Martin, il est troublant de voir à quel point avec « la communication interpersonnelle dans les diverses situations de la vie quotidienne » l’homme est oublié, je souligne : « pour appréhender l’objet-langue, il faut d’abord s’intéresser à ses réalisations en milieu naturel » (cit., p. 243). L’ « échange » n’a rien d’autre à faire qu’à démontrer un mécanisme communicationnel, un schématisme de l’interaction. Le dialogisme fondamental au langage a bien autre chose à faire : d’abord à penser le sujet, contre l’objet, la langue par les discours qui la font par leur activité et non qui y conviennent par des réalisations », le langage comme travail de la relation, invention imprévisible qui a son historicité. L’ « authenticité » ne programmerait-elle pas une chosification du sujet parlant, un comportementalisme animalier ? De l’objet, de la nature : ce sont les invariants de cette linguistique : des discours et des activités mises en bocaux pour prouver des invariants établis avant l’ « appréhension ». L’ « authenticité » a sa force de persuasion. C’est un argument détaché d’une pratique.

Serge Martin pose les questions : « La linguistique conversationnelle ne travaille-t-elle pas à une invention de ce type [« l’invention de l’invariant » (Denis Laborde)] ? N’informe-t-elle pas plus sur ses conceptions que sur les pratiques langagières ? » (p. 243) « La confrontation des thèses de Goffman et des poèmes de Heidsieck » continue une des visées de ce livre, la critique des universaux, des conceptions naturalisantes, universalisantes par la pluralité infinie, interne au langage et à la relation de sujet à sujet – une critique de toutes les formes d’objectivations. Le problème de Goffman et de sa théorie de l’interaction est donné en ces termes : « Le sociologue, Erving Goffman (1922-1982) prétend d’emblée à « un schéma applicable à n’importe quelle organisation sociale réelle ». (p. 244) Contre cette instrumentalisation des discours par la sociologie le poème est un enjeu rythmique. La « poésie sonore » de Bernard Heidsick refait la conversation dans les poèmes ; elle en brouille les « pistes » en les assemblant simultanément : « [il] ne cesse d’entrecroiser les rythmes, renonçant donc au « choix » entre règles et exceptions […] pour lui préférer le fonctionnement d’une pluralité » (p. 254). Et reprenant les catégories de sémantique et sémiotique distinguées et analysées par Benveniste Serge Martin relève une différence majeure entre la sociologie et le poème : « le premier fait de la pragmatique une pan-sémiotique comportementale alors que le second en fait une sémantique généralisée. » (p. 259)

Ce chapitre fait la critique de la vulgate du tout-communication et du comportemental qui ont leurs incidences sur les pratiques d’enseignement notamment et pourraient expliquer l’occultation du poème et de la discursivité qu’elles opèrent. Le septième chapitre s’attache à une « politique du langage, politique de l’amour » (p. 271). Serge Martin pense une « politique du sujet amoureux » parce que si elle n’est pas une « totalisation » l’« anthropologie de la relation par et dans le langage (…) est, par contre, la visée d’autant de saisies que nécessaires en veillant à toujours faire place à la pluralité des formes de vie et de langage qui constituent telle ou telle activité, elle-même prise dans ce qui contribue à la valeur et à la définition de l’humain. » (p. 271) Alors ce dernier chapitre donne les enjeux théoriques forts par lesquels on n’aura pas à conclure, mais à continuer : « le sens de l’infini au cœur du langage » - « une poétique des passions discursives » - « l’élégie comme force de vie et non célébration de la mort » - « un sujet qui du plus singulier au plus anonyme n’est jamais ordinaire ni anodin. » (p. 272) Le « poème-relation », « l’élégie-relation » avec Bernard Chambaz sont les pratiques du signifiant-relation, une généralisation du trouble d’infini que chaque poème invente. Mais avec les poèmes on invente toujours car ce sont eux qui nous inventent : « la voix qui continue », avec Meschonnic qui, à l’incipit de Puisque je suis ce buisson « commence par continuer : « puis le monde » (p. 9) » (p. 278). De fait chaque mot du poème, parce qu’il est du poème et un lien de l’activité d’un sujet spécifique est « un lanceur de la relation » (p. 279). Et la « relation relation » est relation au carré, je puissance tu, tu puissance je, qui renverse le centre identitaire et le toi-objet. La psychanalyse devrait mieux lire les poèmes. Je note au passage que la « relation relation » est un concept efficient pour une critique de la fantasmalogie à la Agamben. Là est la force du concept d’admiration désétymologisé-démiroirisé et devenant un « problème poétique » (p.292), une « réceptivité » « pour savoir quel rapport aux œuvres établir, quel sujet advient de ce rapport à ces rapports » (p. 294). La critique littéraire, si elle s’invente « sujet relation », en est le travail. Serge Martin l’analyse dans l’Entretien sur Dante et « l’interlocuteur providentiel » de Mandelstam (p. 295-300), l’ « Hölderlin » de Walter Benjamin et son « noyau poétique » (cit., p. 302), les « mains vraies » du poème de Paul Celan (cit., p. 306). C’est bien une utopie du poème de la critique que Serge Martin invente dans Langage et relation, pour transformer la réceptivité en relation. Pas de poème sans « poème relation » : « la relation n’est jamais à saisir mais toujours à chercher. La relation est forte d’utopie. » (p. 319) Alors l’enquête est aussi prudente, face au « retour du « sujet » [qui] exige donc plus qu’avant le test suivant : est-ce que le "sujet" proposé répond au problème du poème ? Cela semble évident pour la "poésie". Peut-on dire la même chose ailleurs ? » (p. 312) Pour une recherche et une écoute des historicités la relation continue le rythme et répond le sujet parce qu’elle est au maximum sujet permettant de libérer le poème : un pari sur la relation, le parti de l’intersubjectif.

Ce texte est également disponible à l'adresse suivante:

http://www.arabesques-editions.com/revue/essais/article192912.html

Déverse ta colère – déverse ! Contre « la solution finale de la question juive » et ses hoquets essentialistes : aujourd’hui défendre les vivants pour



« Déverse ta colère – déverse ! Contre « la solution finale de la question juive » et ses hoquets essentialistes : aujourd’hui défendre les vivants pour vivre leurs noms et leurs silences » dans Résonance générale n° 2, Mont-de-Laval : L’Atelier du grand tétras, mars 2008, p. 19-44.

Henri Meschonnic, poète libre



« Henri Meschonnic, poète libre » dans Résonance générale n° 1, été 2007, Mont-de-Laval : L’Atelier du grand tétras, p. 55-60.

Sept d’un coup ! Pour une poétique relationnelle du lire/écrire/penser avec La Rime et la vie de Henri Meschonnic


« Sept d’un coup ! Pour une poétique relationnelle du lire/écrire/penser avec La Rime et la vie de Henri Meschonnic » dans Résonance générale n° 1, été 2007, Mont-de-Laval : L’Atelier du grand tétras, p. 127-133.

Illyriques

Illyriques, précédé de Illytaniques et suivi de Lettres à la ronde accompagné de découpages et désorientations illyrocartographiques de l’auteur, Elne, éditions Voix, 1er trimestre 2001, 88 p.

Les monologues inséparables


Extraits (p. 31-32) de Illyriques et « Les monologues inséparables » (extraits de « leurs rêves diurnes en grève (relations irréelles) » dans A. Helissen (coordination), Vents contraires Force 18, Voix éditions, coll. « Vents contraires », 2007, p. 27-31.


À l’aube de l’an 2000 naissait la collection de poésie Vents Contraires que me confia Richard Meier.Sept ans plus tard et après la publication de dix-huit livres, pour autant d’auteurs, j’ai voulu marquer cette première étape d’une trace. L’anthologie Vents Contraires revisite, à travers quelques extraits, les livres de la collection. Mais elle propose aussi, pour chacun des auteurs en question, des textes inédits. Elle devient le catalogue singulier de 18 poètes d’aujourd’hui. L’un d’entre eux, Michel Valprémy, manque depuis peu à l’appel. Je lui dédie cette anthologie. Alain Helissen

En Herbe (exercices & pauses)



En Herbe (exercices & pauses), avec des encres de Maria Desmée, Chaillé-sous-les-Ormeaux, « Le farfadet bleu », Le Dé bleu, mai 1997, 64 p.

Correspondances et circonstances, trois petits contes en lettres

« Correspondances et circonstances, trois petits contes en lettres » traduits en bulgare par Ivan Borislavov dans Ciel nocturne, douze poètes et nouvellistes bulgares et français, éditions L’Inventaire et Association « Balkans-transit », Paris-Caen, avril 2006, p. 68-75.

De l'air

De l’air, avec un dessin de Dan Bouchery en couverture, L’épi de seigle, septembre 2003, 28 p.

Scènes de boucherie


Scènes de boucherie, Cherves, éditions Rafael de Surtis, collection « Pour une terre interdite », 1er trimestre 2001, non paginé, dédicacé à la mémoire de Ghérasim Luca.

Pauvre Réveil

ENVOYERIMPRIMERRÉAGIRArticle paru
le 2 septembre 1994

Pauvre Réveil

Serge Ritman

Un réveil est posé sur une table, cadran face au public, et, la sonnerie déclenchée, le texte suivant est déclamé en marchant dans un mouvement de balancier ou en tournant dans le sens inverse des aiguilles d’une montre :.

.

Ce qu’il y a d’incompréhensible dans la poésie c’est la poésie.

Ce qu’il y a de préhensible dans le poème c’est le poème.

Ce qu’il y a de sensible dans le vers c’est le vers.

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Ce qu’il y a de sens dans le sens c’est la direction.

Ce qu’il y a de dire dans la direction c’est l’érection.

Ce qu’il y a d’érection dans le dit c’est la chute.

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Ce qu’il y a de chute dans le rire c’est le rythme.

Ce qu’il y a de rythme dans la dérision c’est la décision.

Ce qu’il y a de décision dans le discours c’est le « ça suffit ! ».

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Ce qu’il y a de suffisance dans le poème c’est la poésie.

Ce qu’il y a de compréhensible dans la poésie c’est le présent.

Ce qu’il y a de présent dans le présent c’est la prise.

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Les douze dévers déclamés, la sonnerie du réveil est immédiatement arrêtée et, essoufflé, est dit sur un tout autre ton ce dernier, treizième, dévers :.

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Ce qu’il y a de déprise dans la prise !!!.

Serge Ritman, né à Cholet en 1954, est professeur des écoles dans la banlieue parisienne. Il est membre du comité de rédaction de la revue « le Français aujourd’hui » pour laquelle il rédige des chroniques de poésie. Il anime le Centre d’initiatives poétiques en Val-d’Oise. Il participe régulièrement aux revues « Sapriphage » et « Maison atrides et cie ». Il vient de terminer une monographie consacrée à Francis Ponge (éditions Bertrand Lacoste) sous le nom de Serge Martin.

DOMINIQUE GRANDMONT

Si les poètes sont des passeurs de poèmes

Dans l'Humanité du 6 mars 2008

Enquête de poésie à l'occasion du printemps des poètes, à l'invitation d'Alain Freixe.


Serge Ritman,

Si les poètes sont des passeurs de poèmes, je vote pour le printemps des poètes, mais la voix a besoin de plus que d’un bulletin et le poème n’a ni heure ni saison. Il se débat au coeur du langage par et pour tout un chacun. Il prend toutes les saisons et fait notre histoire à contre-époque, se moquant bien du décor, des ors et autres spores (entendez sports et autres semences du bio-politique). Bref, c’est le poème qui fait le poète et non l’inverse : alors dix ans ne suffisent pas. Une vie non plus. Restent nos résonances.

Dernier ouvrage paru :

Éclairs d’oeil,

Éditions Tarabuste, 2007.


Ce qu'on dit les autres poètes:

Jacques Ancet

« Le "paysage poétique" me semble plus vivant qu’il y a dix ans. Les lectures débats (à Paris et surtout en province), les rencontres avec les classes, les initiatives diverses (expositions, représentations, éditions de recueils autour de thèmes choisis, etc.) sont plus nombreuses. L’audience de la poésie paraît donc s’être élargie, et c’est bien, même si, par sa nature même et fort heureusement, elle n’a et ne peut avoir aucune place dans le système mercantile qui est le nôtre. Ce qui ne signifie pas, bien sûr, que la qualité de la création poétique soit nécessairement meilleure qu’elle ne l’était autrefois. Mais ceci est une autre histoire…

Dernier ouvrage paru :

Entre corps et pensée, Éditions L’idée bleue/Le dé bleu, 2008

Jean-Marie Barnaud

« Je ne sais trop répondre à cette question, hormis les évidences : ces mois de mars, oui, on parle d’elle, cela rayonne autour, de multiples actions dans toutes les villes se lancent, elle inspire lectures, performances, échanges, émissions, affichages… Elle regarde vers l’enfance, laquelle, on le sait, la mérite bien plus et mieux que les édiles. Et cela, oui, est neuf dans l’histoire de l’Hexagone. Sous l’impulsion d’âmes non vendues et résistantes, elle ose montrer, comme on le dit à Grasse, un certain "visage"…

Et donc on communique beaucoup autour d’elle. Bravo !

Mais quel est son paysage ? Ce mot, comme on le dit de l’audiovisuel, dont le paysage, précisément, est sinistre, et avec qui elle ne marchandera jamais sa liberté, lui convient-il, à elle qui veut le silence et le recueillement d’une parole rare et simplement offerte, les aliments furtifs de sa résistance ?

Dernier ouvrage paru : Venant le jour, Éditions Cheyne, 2004

Madeleine Carcano

« Dans les bus, les stations de métro, les poètes font partie du paysage et, dans les conversations, ils ne sont plus ces farfelus d’un autre âge qui écrivaient dans une langue qui n’était commune à tous. Le poète est au milieu de nous tous, avec ses joies et ses regrets, ses nuits et ses jours. Aux couleurs de la vie. »

Animatrice de la revue

Lieux d’être.

Henri Deluy

« La poésie n’existe pas » (Denis Roche). Cette affirmation, qui pouvait passer pour une boutade, trouve, depuis dix ans, sa confirmation. La ramification des types d’écriture, des abords, des lectures, des écoutes, montre que ce sont les poèmes qui existent, dans une écriture et/ou dans les manifestations qui se proposent sous cette dénomination ; des poèmes et non pas on ne sait quelle essence qualifiée de poésie. Des poèmes avec un environnement économique, idéologique, complexe, que l’existence du Printemps des poètes n’a pas touché, malgré la démagogie de son nom, et une couverture médiatique qui est son incontestable succès.

La situation de l’édition, de la diffusion et de la lecture s’est aggravée. De petites maisons disparaissent, d’autres poursuivent, en difficulté ; des revues s’effacent (dernièrement le Nouveau Recueil), les autres connaissent une diffusion restreinte ; les grandes maisons, sauf cas d’espèce, comme la collection « Poésie/Gallimard », en dépit du courage de P.O.L et de Flammarion, et certains succès de circonstance, ont des tirages minimes. Très peu de bibliothèques suivent l’actualité éditoriale, elles soutiennent encore moins de leur abonnement les revues qui persistent. L’existence de réseaux nombreux, sur la Toile, ne comble pas ces manques. Et, comme en d’autres domaines, les effondrements idéologiques n’ont pas fini de travailler.

Dans l’écriture, les poèmes continuent de changer, y compris dans l’oeuvre de ceux pour lesquels le poème est une aventure existentielle aux prises avec une écriture en danger. Les changements, voire les mutations, viennent d’une extension de la conception visuelle, sonore. Le poème devient souvent un numéro dans un spectacle donné pour tel, il n’est plus justifié par son objet et sa matière verbale mais par la désignation et la manière dont il est présenté ; plus de discrimination substantielle entre le poème dans et par l’écriture, et le poème qui fait appel, en tout ou en partie, à d’autres formes artistiques, il veut se manifester dans une sorte de plénitude physique de la parole expressive.

Malgré le nombre de trouvailles qui ne sont que des novations insignifiantes, ces réalisations scéniques, énergiques et différentes, sont souvent de qualité et rencontrent la faveur d’un public avide de spectacle.

Donc, une poésie riche, diversifiée, de haute qualité, appréciée internationalement, avec un statut public amoindri et une place dans la vie de la nation réduite à la portion congrue.

Rédacteur en chef de la revue Action poétique. Derniers ouvrages parus : Au blanc de neige, Éditions Virgile, 2007, les Arbres noirs, Éditions Flammarion, 2006.

Suzanne Doppelt

Il me semble que la poésie tend à devenir de plus en plus autre chose qu’elle-même, soit en s’associant avec d’autres formes d’expression, soit en se démultipliant. Dessins, photographies sont articulés organiquement avec des textes, comme on le constate dans les cas de Jean-Jacques Vitton, Pierre Alferi ou même Eduardo Kac qui utilise la photo scientifique. À l’autre aile, un mouvement continu la porte vers le théâtre, vers la musique, et pas forcément comme elle l’a toujours fait avec la poésie sonore, mais en se rapprochant de la chanson, de l’opéra, du théâtre.

Comme s’il était plus difficile de se contenter d’écrire.

Ou peut-être parce que ceux qui sont prêts à partager se prennent moins au sérieux

Poète et photographe.

Dernier ouvrage paru :

Le pré est vénéneux,

Éditions P.O.L, 2007.

Patrick Joquel

« Une des grandes avancées de la poésie ces dernières années se situe au niveau des écoles. On est passé de quelques poèmes appris par coeur par an, à la lecture de recueils entiers. On est passé des poètes classiques à la poésie contemporaine. À une poésie même concrète puisque des classes écrivent aux poètes, reçoivent des poètes. Cette présence du poème à l’école permet tout simplement de mettre un peu de liberté, de transgression, d’émotion et d’humour dans l’éducation nationale. Notre monde en a bien besoin. »

Dernier ouvrage paru :

Poésie maternelle,

Éditions Magnard, 2007

Béatrice Machet

« Les interventions en milieu scolaire, même si c’est un travail trop court, imparfait, incomplet, avec tendance de certains enseignants à la consommation plutôt qu’à l’implication personnelle, permettent aux enfants une approche de la poésie dépoussiérée, les plongent dans une pratique aux côtés des poètes bien vivants, les reconnectent à leurs sources d’imagination et de créativité, ce qui est une victoire en soi. Le paysage poétique aujourd’hui me paraît très coloré, certes composé d’un "poétariat", comme le dit Jean-Claude Pinson (les poètes médians des ateliers d’écriture qui contribuent à la démocratisation des arts en général), mais aussi de la post-poésie qui bouscule les frontières et quitte les limites d’un espace strictement littéraire. Mais également paysage venu de l’âge des poètes (du rapport du poétique à la vérité et au philosophique, légende de l’être), qui s’en irait (Philippe Beck en tête), au poème chargé d’une pensée philosophique (question du subjectif, conte de l’impersonnage). »

Poète. Elle traduit

les poètes amérindiens

chez Voix et Wigwam.

Jérôme Mauche

Il y a dix ans je n’écrivais certainement pas de la poésie mais lorsque j’ai cherché à montrer mon travail, ce furent quelques revues, des lieux de diffusion dits de poésie contemporaine qui ont été, entre guillemets, là aussi intéressés. Aussi certainement dois-je écrire de la poésie et pourquoi pas ? Celle-ci étant dans un état de minorité absolue, elle est susceptible en effet d’accueillir des projets, des propositions qui foncièrement n’ont rien à voir les uns avec les autres. Le champ poétique me paraît actif, inventif, brillant. Qu’elle n’intéresse personne d’autre que les poètes est potentiellement une excellente chose. Étant un marché parfait, elle induit que toute personne qui s’y intéresse développe ou développera son propre travail. La simplicité de sa mise en oeuvre, son adaptabilité, sa pauvreté en font un exercice éminemment démocratique.

Anime un atelier

danse poésie à la Ménagerie de verre à Paris.

Dernier livre paru : la Loi

des rendements décroissants, Éditions Seuil, 2007 .

Raphaël Monticelli

La relation à la poésie et aux poètes a changé. Oui, le paysage poétique a commencé à changer… Considérons qu’il ne doit s’agir que d’un début. Il faut encore inscrire ça dans les fibres et le sang.

Dernier ouvrage paru :

Bribes tirées de la mort

de Dom Juan,

Éditions L’Amourier, 2006.

Véronique Pittolo

La poésie depuis dix ans ?

Il me semble que plus le temps passe, plus la poésie porte sur elle un vêtement trop petit.

Je m’explique.

Le développement des pratiques sonores et orales, les divers modes d’exposition du texte, performances, fictions radiophoniques, mises en voix et mises en espace dans des dispositifs qui ne sont ni théâtraux ni spécifiquement poétiques, toutes ces mutations du texte contemporain assignent à la poésie un genre qui l’excède. Ainsi, certains trouveront ringard de se désigner encore comme de simples poètes, d’autres préféreront inscrire roman sur leur première de couverture, d’autres encore brandiront la banderole du performer.

Alors la poésie a évolué, certes, mais par rapport à qui et à quoi ?

Au roman ? Aux arts plastiques ? À la scène ? Et vis-à-vis du poète, qu’en est-il ? Peut-être est-il désormais caduc de mettre en avant la vieille dichotomie lyrisme-littéralité. J’en veux pour preuve mon attachement à des types d’écriture extrêmement divers : je peux aimer un certain lyrisme (Bouquet, Mainardi), autant que l’expérimentation la plus radicale (Sivan, Maestri), ou encore les transgressions fun à visée politique (Mauche).

Si je me réjouis de cette multiplicité, je déplore dans le même temps la marginalité encore trop grande des circuits de diffusion, la précarité économique d’éditeurs exigeants, le manque d’efforts de lecteurs qui préfèrent les recettes éculées de la narration balzacienne.

Dernier ouvrage paru :

Opéra isotherme,

Éditions Al Dante, 2006.

Katy Remy

« Non, le réchauffement poétique n’est pas encore sensible à notre échelle, bien que de nombreuses expéditions soient organisées pour établir de nouvelles cartes de géopoétique. (…) La blogosphère, si elle laisse entrevoir parfois quelques figures originales, a contribué à charger l’espace d’indénombrables microtalents. Le réchauffement a commencé par faire proliférer les écriteurs, au détriment des lecteurs de poésie. Un peu comme si plus personne ne regardait un match et si tout le monde croyait savoir, voulait pouvoir taper dans le ballon. »

Animatrice du Jardin littéraire, a publié aux éditions Tipaza, Sous les lianes et

les Récits de la grande peste.

Serge Ritman,

Si les poètes sont des passeurs de poèmes, je vote pour le printemps des poètes, mais la voix a besoin de plus que d’un bulletin et le poème n’a ni heure ni saison. Il se débat au coeur du langage par et pour tout un chacun. Il prend toutes les saisons et fait notre histoire à contre-époque, se moquant bien du décor, des ors et autres spores (entendez sports et autres semences du bio-politique). Bref, c’est le poème qui fait le poète et non l’inverse : alors dix ans ne suffisent pas. Une vie non plus. Restent nos résonances. »

Dernier ouvrage paru :

Éclairs d’oeil,

Éditions Tarabuste, 2007.

Claude Vercey

« Le Printemps pose problème surtout quand, comme nous sommes (voir mon dernier message à propos de l’association Impulsions et son site), on est à la fois poète et organisateur de rencontres poétiques. On peut dire que cette manifestation est victime de son succès : au départ, on a vu apparaître à cette date du printemps des manifestations qui n’auraient pas existé sans lui ; mais à la suite, sous la pression des municipalités, les bibliothèques (dans lesquelles nous intervenons de manière privilégiée) se devaient d’organiser leur manifestation à cette date (et souvent elle est unique) si bien qu’on en arrive à un encombrement pendant une semaine, tandis que le reste de l’année est de plus en plus déserté. »

Animateur aux côtés

de Jacques Morin de la revue Décharge. Dernier ouvrage paru : Aime ta joie,

Éditions Le dé bleu, 2004.