lundi 11 août 2014

Quand mes rougeurs te minimisent

Quand mes rougeurs te minimisent
Livre manuscrit en douze exemplaires de 10 pages
avec cinq gravures de Gérard Serée

Août 2014








quand mes rougeurs te minimisent

L’imminimisable minime minimum

Samuel Beckett (Cap au pire (1983), Minuit, 1991, p. 12)


il n’y a pas à réduire mais
à chercher ce qui reste
ou ce qui tient encore
après tout je te tiens
pas la barbichette les deux
mains tes yeux trouvent
mon regard perdu sous tes seins
et ce grain de ta beauté

voilà le plus petit commun
de notre communisme actif
c’est comme quand je suis
amoureux de la jeune
fille qui quémande en haut
du métro ou dans le bus
la ligne 21 je compte toutes
celles qui sont éperdues

depuis la Bosnie ou cette
Albanie qui pleure et rit
les cahiers de Musine Kokalari
qui balaie dans le silence
d’une dictature du prolétariat
grâce à l’écriture qui fixe
le ciel au mur et nos faims
d’un minimum jeunesse

on lira bientôt ses carnets
au monde tout se mêle
il n’y a pas la politique
tout s’enroule ici même
dans nos rougeurs d’amour
ou c’est le froid dans les os
qui monte aux joues quand
tu danses les mains sur terre

comme au ciel nos réductions
à presque rien c’est tout
ma minime action politique
c’est toi que je suis
tu es l’imminimisable
de toute une vie portée
à l’incandescence de mes rougeurs
dans ton foulard je

te sens comme si la
peinture m’enroulait
à la vie de tes pas
nous dansons nos naissances
et les mains du peintre
rougissent toutes les rondeurs
de  nos clartés nocturnes
en constellations vives


vendredi 8 août 2014

Terre sentinelle de Fabienne Raphoz

Recension de Fabienne Raphoz, Terre sentinelle (éditions Héros-limite, 2014) dans Triages n° 26, 2014, p. 142.


On trouve la recension également à cette adresse : http://martinritman.blogspot.fr/2014/02/terre-sentinelle-fabienne-raphoz-en.html

sa vie à elle

« sa vie à elle », Triages, anthologie 2014, p. 52-65.


tu es mon sens

« tu es mon sens », Triages n° 26, 2014, p. 97-101.



http://www.laboutiquedetarabuste.com/boutique-en-ligne/categorie/revue-triages/8

tu es mon sens

Parler, c’est les cinq sens en chœur. Entendre, c’est résonner.
[…] Parler, entendre, c’est l’amour, c’est le mariage du réel avec l’imaginaire.
                Paul Eluard

petite expérience : tu me sens venir
tu touches quoi quand tu voies
un regard passe et tes yeux prennent ma main
si tu sens c’est avec tes mots où l’air de rien
ton silence écoute la petite musique est-ce ta peau
de mes absences au bon goût ou c’est un bouton
dès que tu fais la vie aucun faux
sens commun mais l’élan ta poussée
nous porte ici partout avec dans tous les sens
nos possibles et l’impossible c’est tout
ce que je t’aime

remarque brève : passe-moi du sens
déjà du sens commence pas                        sans tu vois sens vis
c’est tout le sens de dire surtout sans rien dire tu me parles sans cesse
dans mes silences
avec le devenir sujet pour un autre   je c’est le sens de tu
un autre je-tu qui vient comment dire           j’écoute ton écoute

note sur les sens : dans le sens de bondir
du sens et non des sens même si sensation
pourquoi 5 sens et pas 6 et pas 7 fois 7
les départements de la maîtrise du sens
pérorent en définitions
pour finir ce qui commence toujours par corps
heureuses ces cultures quand elles ouvrent
la vie qui saute allègrement d’un sens
l’autre : c’est le poème sans arrêt
chacun peut : l’enfant le sait dans le mouvement
ses découvertes libres
ou dirigées si aucun empêche
ce qui s’apprend vers le sens comme
décomprendre encore le poème ou le sens
d’un apprendre au commencement
venir avec te dire viens voir c’est qui
non une question mais un partir bondir

petite expérience (suite) : tu cries pas de sens
dire je avec ton appel insensé
tu cries ou c’est seulement mon nom
et je te parle en bouche ta langue
m’écoute les yeux fermés tu ris
comme si je buvais tout mon saoul
de salive tu t’épuises et je viens
quand même dans ton temps
je m’endors c’est toi qui me rêves
encore ton appel insensé je pars

note trop longue sur le sens : débuter une robe insensée
les définitions du sens accablent
le poème depuis toujours même
quand on lui assigne le sixième sens
(ah ! la poésie amoureuse ; mais les poèmes font l’amour)
ou plus bêtement la sensation
l’ordinaire ne sentirait pas
le poème n’a qu’à bien se tenir
dans l’horizon herméneutique – son sens profond dirimant toute surface expérientielle non réduite
l’art comme expérience extension des surfaces
des concrets comme des abstraits des rencontres
et des relations

ou sous la structure sémiotique – ces carrés et autres maîtrises du sens comme totalité
le sens avec le poème une transformation
infinie par déchaînement des enchaînements 
on n’en finit pas avec, on n’habite pas le monde
on est habité par
ce monde, infiniment pluriel, devient comme
agrandissement incommensurable l’expérience toujours
en cours – pas de fin ni d’origine du recommencement

dès que poème les débuts du sens
toujours en manque ces structures herméneutiques sémiotiques
arraisonnent le sens du sens au signe comme absence
pour Mallarmé l’absence reste une activité d’appel se pluralisant
les échos trouvent la musique des expériences les résonances
Une régularité durera parce que l’acte poétique consiste à voir soudain qu’une idée se fractionne en un nombre de motifs égaux par valeur et à les grouper ; ils riment ; pour sceau extérieur, leur commune mesure qu’apparente le coup final. (Stéphane Mallarmé)
abolir la chose l’essence l’autre le sens – j’oublie les majuscules –
parce que les autorités y tiennent s’en parent pour l’appareiller
aux ordres des petits capitaines en Poésie pour les grands
Armateurs en Pouvoir sur les discours les sujets les relations
ça ne veut pas rien dire conclut Rimbaud dans sa lettre
à celui qui n’est pas Enseignant pour lui déjà
les corps enseignants confondaient la perte du sens et rien dire
ils se répètent encore et sans beaucoup de corps ma parole

dès que poème parole donnée je trouve comme dans le tissu
la direction privilégiée Walter Benjamin disait teneur du poème
je vais t’écrire serge et c’est une robe plissé ou tes yeux
au soleil tu me recommences dans la dernière mode de SM
des débutants le sens recommence nos débuts à me faire
encore longtemps rêver la tragédie de la nature en nos sens

« Trotteur Riviera — Robe en serge blanche, plissé soleil. Col, parements et ceinture en drap beige brodé. Garniture de dentelle » dans Les Modes : Revue mensuelle illustrée des arts décoratifs appliqués à la femme, 1905.


note anachronique : Mandelstam et Luca tombent sous le sens
Le premier : La poésie se distingue du discours automatique en ce qu’elle nous réveille et nous secoue au milieu d’un mot. Alors il apparaît beaucoup plus long que nous ne pensions, et nous nous souvenons que parler signifie se trouver toujours en chemin. (« Entretien sur Dante »)
Le second : Celui qui ouvre le mot ouvre la matière et le mot n’est que le support matériel d’une quête qui a la transmutation du réel pour fin. Plus que de me situer par rapport à une tradition ou à une révolution, je m’applique à dévoiler une résonance d’être, inadmissible. La poésie est un « silensophone », le poème, un lieu d’opération, le mot est soumis à une série de mutations sonores, chacune en ses facettes libère la multiplicité de sens dont elles sont chargées. Je parcours aujourd’hui une étendue où le vacarme et le silence s’entrechoquent – centre choc –, où le poème prend la forme de l’onde qui l’a mis en marche. Mieux, le poème s’éclipse devant ses conséquences. En d’autres termes : je m’oralise. (« Introduction à un récital »)
foin du formalisme ou mythographie du mot
du son ou de tout autre élément langagier
encore moins de la langue de lalangue

tout dans les blancs divisant le texte le frivole
et tes bleus silences toute la violence de partout
à portée de voix je me tais tu ris dans nos larmes
c’est un parfum où les soirs attendent quel matin
ce journal plein de sens pour les enfants une brebis
laissait en silence pousser sa laine à des fins utiles
la rythmique n’est pas pour autant une esthétique


foin d’essentialisme présence absence être non-être
ici tu m’étonnes et je ne vais pas manquer d’étonner
comme si le tonnerre et puis l’air des errances
et encore on se terre dès que son accent roumain
ah la main de sa manie et la chaise qui prend l’air
de rien il bégaye entre pasigraphie et phénakisticope
un vrai poisson dans l’eau du chant et tu ris ma carpe

note avant mourir : des sans-voix jubilent de sens
tu es mon sens
donc je te suis
dans nos rimes
ton silence crie
m’enrime le sens
tu as dit tu sens ma rime quand je
m’arrime à ta voix imperceptible
à l’oreille je t’écris dessous dessus
nos sans-voix ont le sens des non
dits et tous accourent aux quatre
coins on
vit ensemble
avec pour
le moment
les morts dans les épaules
ou le sens d’un regard je t’aime
par leurs sens du vivre en peine
les enfants se taisent comme
les électeurs pas de vote blanc
m’enrime le sens
ton silence crie
dans nos rimes
donc je te suis
tu es mon sens